LE VILLAGE DES SOURDS – LÉONORE CONFINO
Un spectacle de Catherine Schaub & Léonore Confino
Texte : Léonore Confino
Assistante à la mise en scène : Agnès Harel
Avec : Jérôme Kircher – Ariana Rivoire
Scénographie : Emmanuel Clolus
Lumière : Thierry Morin
Création sonore : R. Jericho
Avec cette nouvelle création sur l’appauvrissement de notre langage, Léonore Confino et Catherine Schaub livrent une subtile réflexion, tout en poésie, sur notre société de consommation.
A Okionuk, village polaire fictif, un marchand va débarquer avec un catalogue de produits. Ce village vivait en autarcie, en accord avec la nature, avec une culture de l’oralité hors du commun. Le marchand va proposer aux villageois d’acheter ses produits non pas avec leur argent mais avec leurs mots. Peu à peu, ce peuple va se délester de sa langue pour s’équiper de divers objets inconnus (chaudières, couettes, télévisions…).
Achat après achat, sa langue s’appauvrit, jusqu’au mutisme total. Toute l’histoire nous est contée par Youma, incarnée par Ariana Rivoire, comédienne sourde pétrie de talent. L’adolescente reste la seule à avoir conservé en secret la mémoire du village, qu’elle va pouvoir restituer avec sa langue, celle des signes.
« Le Village des sourds », une fable politique. A travers le sacrifice des mots, on perçoit vite le sacrifice des pensées : il ne s’agit pas seulement de la diminution du vocabulaire, mais aussi des subtilités qui permettent d’élaborer une pensée complexe, de s’énoncer et se penser différemment que dans un présent « utile ». Une oeuvre à découvrir de toute urgence !
UNE FABLE POLITIQUE : |
Le texte aborde les relations entre appauvrissement du langage et violence. En sacrifiant leurs mots, les villageois ne sont bientôt plus capables d’identifier les stratégies d’oppression venant du pouvoir. Les violences se répercutent entre eux, à leur niveau. Par ailleurs, à travers le système de consommation qui s’introduit dans le village, s’illustre le paradoxe de notre société : à quel point la propriété et le temps que nous lui consacrons sont-ils incompatibles avec le souci du bien commun ? C’est pourtant bien l’injonction contradictoire à laquelle nous devons répondre en permanence. Enfin, par son dispositif – un interprète traduit une narratrice sourde qui s’exprime en langue des signes – la création sera aussi bien accessible à un public entendant que malentendant, rappelant que l’imaginaire n’a pas de frontières… pourvu que les langues circulent et trouvent leurs équivalences.
NOTE DE L’AUTEUR : |
Raconter l’organisation d’un village, puis sa dégradation collective, induit une approche politique. Mais la forme du conte permet des métaphores (poétiques, cruelles, fantastiques…) qui peuvent toucher des publics d’âges divers. Le spectateur comprend vite que le village polaire d’Okionuk est imaginaire, avant d’y déceler progressivement des glissements de la collectivité qui lui sont familiers. Ici, la loupe se posera sur la langue des habitants, ou plutôt, le désossement de leur langue qu’ils cèdent bout par bout à un marchand en échange de produits. Avec les premiers achats, viennent les questions des priorités : quels sont les mots
essentiels ? Les non essentiels ? Pour s’offrir chaudières, radiateurs ou baignoires, les villageois paient avec les mots de l’ailleurs (canicule, sombrero, monoï…), puis viennent les alambiqués, ceux qu’on n’arrive jamais à prononcer (expectative, psoriasis)… A travers le sacrifice des mots, on perçoit vite le sacrifice des pensées : les villageois peinent vite à se concevoir autrement que dans leur quotidien. Il ne s’agit pas seulement de la diminution du vocabulaire, mais aussi des subtilités qui permettent d’élaborer une pensée complexe, de s’énoncer et se penser différemment que dans un présent « utile ». La simplification touche également la mémoire : comment accéder aux textes des siècles passés sans maîtriser la gymnastique de la syntaxe ? L’absence de perspective, de passé, d’imaginaire, multiplie les tensions entre les villageois. Par ailleurs, en payant leurs bien matériels avec leurs mots, ils transfèrent leur richesse intérieure dans une richesse extérieure, chargeant les objets d’une valeur démesurée. Si quelqu’un y touche, il réveille un instinct de possession démesuré.
La langue est précisément une ressource non-matérielle qui pourrait être « possédée » par tous grâce aux institutions publiques, écoles, bibliothèques, théâtres… Mais les stratégies de notre société de consommation, l’omniprésence des écrans, les nouvelles méthodes de management et la faillite du système scolaire… creusent et perpétuent les écarts.
NOTE DU METTEUR EN SCENE : |
Pendant un long tunnel d’insomnies (ma cadette a longtemps inversé le jour et la nuit), j’ai perdu mes mots par grappes entières. A force de fatigue, je me suis dégraissée des synonymes, des tournures trop compliquées, pour glisser de semaine en semaine vers une langue utilitaire, abrégée, privée d’imaginaire et de poésie. Durant cette période, j’ai pu éprouver des difficultés à rédiger une lettre professionnelle, à exprimer des sentiments
d’amour ou d’injustice, et j’en ai ressenti une profonde détresse. En cachette (quelle honte pour une autrice de perdre son vocabulaire !), j’ai ouvert un carnet dans lequel j’ai consigné toutes sortes de mots que j’aimais et
qui échappaient au quotidien : jugulaire, chatterton, pistil, argileux, décoction, cumulus, rachidien, héliopause, zeugma… Je stockais sans distinction, redoutant une pénurie infinie. La liste s’est étoffée pendant deux ans. Dans cette collecte, un livre m’a été précieux : « Trouver le mot juste » de Paul Rouaix, un étrange dictionnaire dans lequel on trouve des associations d’idées libres, riches, ouvrant des champs lexicaux infinis.
Le sommeil, progressivement, est revenu et dans son sillage, les pensées exotiques et les voyages intérieurs. Mais j’ai conservé cette liste secrète, j’ai même pensé à l’enterrer dans un bout de jardin… au cas où ?
L’idée du « village des sourds » est née de ce document. Quand tous les habitants d’Okionuk perdent leurs mots, Youma, possède elle aussi sa langue de résistance…
LÉONORE CONFINO : |
Le goût de l’écriture est né d’observations dans ses « boulots d’appoints », en parallèle de ses études de cinéma documentaire. Il est attisé par les découvertes des textes de Roland Schimmelpfennig, Hanokh Levin,
Naomi Wallace, David Lescot, Suzanne Lebeau… En 2009 et 2010, elle écrit Ring et Building respectivement sur les thèmes du couple et du travail, publiées aux éditions l’Oeil du Prince. Elle codirige la Cie « productions du Sillon » avec la metteur en scène Catherine Schaub qui monte Building en premier, dans le cadre de leur résidence à Poissy. Le texte reçoit le Grand Prix du théâtre 2011, se joue au théâtre du Balcon au festival d’Avignon 2013 et tourne pendant deux ans. Puis la metteur en scène s’empare de Ring : création au Petit Saint Martin en octobre 2013 avec Audrey Dana et Sami Bouajila (nomination aux Molières dans la catégorie auteur francophone vivant). En 2014, Léonore Confino et Catherine Schaub terminent leur trilogie avec une famille dysfonctionnelle : Les Uns sur les Autres. Créé avec Agnès Jaoui y incarne une mère à la dérive.
En 2015, l’autrice écrit Le Poisson Belge, publiée aux éditions Actes Sud-Papiers, pour lequel elle reçoit l’aide à la création du CNT, le Prix Sony Labou Tansi et le prix de la pièce de théâtre contemporain pour le jeune public. Le spectacle est créé, toujours par Catherine Schaub, au théâtre de la Pépinière avec Géraldine Martineau et Marc Lavoine. Géraldine Martineau reçoit le Molière de la révélation féminine et la pièce. Le duo
développe ensuite, dans un processus de laboratoires avec les très jeunes comédiens du collectif Birdland Parlons d’autre chose, une plongée dans une communauté secrète de lycéens. Le spectacle est créé
au théâtre de Belleville puis tourne pendant 5 ans. En 2017, elles élaborent en collaboration avec des neuro-scientifiques 1300 grammes (éditions Actes Sud-Papiers) sur le cerveau humain et ses
recoins cachés, qui se crée en 2017 dans le cadre de la résidence de la compagnie au théâtre du Chesnay, puis sera reprise au théâtre 13 en janvier 2018. Enfin, en 2019, Côme de Bellescize met en scène LES BEAUX avec Elodie Navarre et Emmanuel Noblet au Petit Saint-Martin (éditée chez Actes Sud-Papiers sous le titre ENFANTILLAGES). Puis elle écrit LIKE ME, un spectacle immersif en piscine porté par la compagnie dans
l’Arbre : Création et tournée 2021-2022. Ring, Building et Le poisson Belge ont fait l’objet de nombreuses traductions et créations à l’étranger (Brésil, Argentine, Corée, Etats-Unis,Grèce, Italie).
CATHERINE SCHAUB : |
Catherine Schaub met en scène plus d’une dizaine de pièces, parmi lesquelles : Building, Ring, Les Uns sur les Autres, Parlons d’autre chose (avec 9 adolescents), 1300 grammes, Le Poisson belge, toutes écrites par Léonore Confino avec qui elle travaille en tandem. Le Poisson belge a obtenu l’aide à la création du CNT et le prix Sony Labou Tansi. Ces spectacles ont été représentés en France, Suisse, Belgique, Polynésie, Espagne, Afrique et Catherine a mis en scène Ring en langue espagnole, à Buenos Aires, avec deux comédiens argentins. En 2017, elle pilote la troisième édition des « Intrépides », projet initié par la SACD consacré aux écritures féminines contemporaines. Emma la clown, Camille Laurens, Sandie Masson, Penda Diouf, Céline Delbecq et Julie Gilbert, écrivent et jouent six monologues sur le courage féminin. Le spectacle se joue à Paris, Avignon, Genève et Barcelone et se créera au théâtre du Luxembourg en Novembre 2019 sous le titre « Le courage ». Pour le « Paris des femmes » dont le thème est « Scandale », elle met en scène les textes de Marie Nimier, Brigitte Giraud, Ariane Ascaride et Sylvie Germain. Depuis 2017, elle est invitée au festival « Invitation aux voyages » de Biarritz où elle dirige des comédiens comme Samuel Labarthe, Robin Renucci, Jérome Kircher.
En 2019 elle met en scène PompierS de Jean-Benoit Patricot au Théâtre du Rond-Point avec Géraldine Martineau et Antoine Cholet. En 2021 elle dirige Omar Sy dans l’adaptation du roman Frère d’âme de David Diop. Puis met en scène Le Discours de FabCaro, avec le comédien Simon Astier.
JÉROME KIRCHER : |
Ancien élève du Conservatoire national supérieur d’art dramatique de 1985 à 1988, Jérôme Kircher a joué aussi bien des textes classiques que contemporains, sous la direction de Patrice Chéreau, Luc Bondy, Christian Schiaretti, Jean-Pierre Vincent, André Engel, Alain Françon, Irina Brook, Denis Podalydès, et récemment, Wajdi Mouawad avec lequel il poursuit une étroite collaboration. En 2016 et 2017, le comédien rencontre un véritable succès dans l’adaptation du Monde d’Hier de Stefan Zweig, mis en scène par Laurent Seksik. Au cinéma il travaille avec Catherine Lipinska, Jérôme Foulon, Jean-Pierre Jeunet (Un long dimanche de fiançailles), Eric de Montalier, Laurent Boutonnat (Jacquou le croquant), Carine Tardieu (La Tête de Maman), Diane Bertrand (Baby Blues), Eric Emmanuel Schmitt (Oscar et la dame rose) et dernièrement François Ozon (Le Refuge) et Jonathan Nossiter pour son filmRio Sex Comedy. En tant que metteur en scène, il dirige en 2016 Isabelle Carré dans Le sourire d’Audrey Hepburn de Clémence Boulouque, en 2005 Je sais qu’il existe des amours réciproques (mais je ne prétends pas au luxe) de Romain Gary et en 2001 aux Bouffes du Nord, Berthe Trépat, Médaille d’or de Julio Cortazar. ARIANA RIVOIRE est une jeune actrice sourde. Ancienne pensionnaire de l’Institut National des Jeunes Sourds de Chambéry, elle est repérée en 2014 par le réalisateur Jean-Pierre Améris pour incarner le personnage principal de son film Marie Heurtin aux côtés d’Isabelle Carré. En 2015, elle interprète Ariane dans la série télévisée Cherif et l’année suivante, elle joue dans les films Bleu-Gris de Laetitia Martinucci et les Territoires du silence de Christophe Perton. Si notre compagnie se forme actuellement à la LSF au sein de l’International Visual Theater dirigé par Emmanuelle Laborit, Ariana sera accompagnée tout au long des répétitions par 2 interprètes en alternance : Victoria Patricot et Igor Casas. En parallèle de leurs
missions d’interprètes, ils traduiront le texte dans son intégralité en LSF en vue de proposer une version du spectacle accessible aux sourds pour les lieux qui le souhaitent.
ARIANA RIVOIRE : |
Jeune actrice sourde, ancienne pensionnaire de l’Institut National des Jeunes Sourds de Chambéry, elle est repérée en 2014 par le réalisateur Jean-Pierre Améris pour incarner le personnage principal de son film Marie Heurtin aux côtés d’Isabelle Carré. En 2015, elle interprète Ariane dans la série télévisée Cherif et l’année suivante, elle joue dans les films Bleu-Gris de Laetitia Martinucci et les Territoires du silence de Christophe Perton. Si notre compagnie se forme actuellement à la LSF au sein de l’International Visual Theater dirigé par Emmanuelle Laborit, Ariana sera accompagnée tout au long des répétitions par 2 interprètes en alternance : Victoria Patricot et Igor Casas. En parallèle de leurs missions d’interprètes, ils traduiront le texte dans son intégralité en LSF en vue de proposer une version du spectacle accessible aux sourds pour les lieux qui le souhaitent.
VIDÉO : |