BERLIN BERLIN – PATRICK HAUDECOEUR & GÉRALD SIBLEYRAS
Durée : 1h25
Une pièce de : Patrick Haudecoeur et Gérald Sibleyras
Mise en scène : José Paul
Avec : Caroline Maillard , Maxime d’Aboville, Patrick Haudecoeur, Eric Viellard, Guilhem Pellegrin, Marie Lanchas, Claude Guyonnet, Gino Lazzerini
Décor : Édouard Laug
Costumes : Juliette Chanaud
Lumière : Laurent Béal
Musique : Michel Winogradoff
Assistant mise en scène : Guillaume Rubeaud
PATRICK HAUDECŒUR : |
Patrick Haudecœur est metteur en scène, comédien et auteur de pièces de théâtre. Il commence sa carrière en jouant l’œuvre mythique d’Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince. On le retrouve par la suite dans de nombreuses pièces, comme Un fil à la pattede Georges Feydeau ou À chacun son Serpent de Boris Vian. L’acteur écrit et met en scène alors son premier spectacle, Thé à la menthe ou t’es citron ? qu’il interprète également. La pièce qui raconte l’histoire de comédiens qui répètent une comédie de boulevard est un énorme succès. En 1994, on le retrouve dans Le Bal des voleurs écrit par Jean Anouilh et mis en scène par Jean-Claude Brialy.
GÉRALD SIBLEYRAS : |
Pour Gérald Sibleyras, l’intérêt est de faire parler des gens qui vivent dans son époque. C’est en 2000 qu’il coécrit avec Jean Dell sa première pièce, Le béret et la tortue qui sera mis en scène par François Rollin au Théâtre du Splendid. Parmi ses nombreuses pièces récompensées, on citera notamment Un petit jeu sans conséquence, nommée trois fois aux Molières en 2003 et Le vent des peupliers, nommé également trois fois la même année. L’inscription, La Danse de l’albatros et Les 39 marches sont également nommées respectivement aux Molières en 2004, 2005 et 2010.
Au départ, il est une voix bien connue des auditeurs de la radio France Inter de la fin des années 1990. Depuis le début du XXIe siècle, Gérald Sibleyras est aussi un auteur de théâtre réputé sur la scène contemporaine française. Habitué à livrer une pièce de théâtre presque chaque année depuis 2000, Gérald Sibleyras enchaîne les nominations aux Molières pour son travail. Seul ou avec son acolyte Jean Dell, le Français rencontre régulièrement le succès populaire et le succès critique pour les textes qu’il fait interpréter à des comédiens. C’est le cas notamment en 2002 avec la pièce Un petit jeu sans conséquence, l’année suivante avec Le Vent des peupliers, ou encore en 2006 avec La Danse de l’albatros.
Régulièrement adapté et repris sur la scène internationale, Gérald Sibleyras diversifie progressivement ses activités. Le natif de Paris s’essaie à la comédie musicale avec Cendrillon, le spectacle musical en 2009, ou à la production de show d’humoristes avec le duo Chevalier et Laspalès un an plus tôt. En 2017, Gérald Sibleyras poursuit son travail de producteur. En collaboration avec Étienne de Balasy, il reprend la pièce de théâtre écrite par Mike Leigh, Abigail’s Party.
BERLIN BERLIN : |
Le théâtre, c’est du rythme et de l’esprit, l’un ne va pas sans l’autre. La rapidité sans la maîtrise de l’adhérence est le b.a.-ba des bons pilotes de rallye. Préparez-vous à une spéciale chronométrée du Monte-Carlo dans les fauteuils rouges du Théâtre Fontaine. Les virages vous arrivent en pleine figure aussi vite que les répliques. Pif-paf côté cour, enchaînements virtuoses côté jardin. Patrick Haudecoeur et Gérald Sibleyras, deux maîtres de l’humour à fragmentation désopilante ont mis un tigre dans le moteur de cette pièce qui se dégoupille comme une poupée russe.
Comédie policière
Sa mécanique d’entraînement, au-delà de la drôlerie et de la finesse de l’écriture, est d’une précision allemande. Rassurez-vous, elle fonctionne mieux qu’une poussive mais néanmoins résiliente Trabant. Vous embarquez à la fois chez Philippe de Broca pour un gymkhana infernal d’une heure quarante minutes, et aussi chez Les Branquignols pour la satire domestique, sorte de soupe Soljanka relevée de mauvaise foi. C’est comme si L’Homme de Rio installé à Berlin-Est voulait passer à l’Ouest. Ce Cours après moi que je t’attrape à la mode bolchévique est la révélation de la rentrée.
Préférez cette comédie policière à l’espionnite ménagère qui met le Théâtre Fontaine en transe aux interminables débats électoraux qui polluent la télé, cet hiver. Berlin Berlin a les moyens de vous faire sortir de chez vous ! Emma (Anne Charrier) et Ludwig (Patrick Haudecoeur) arriveront-ils à franchir le mur par le passage secret situé dans l’appartement de la mère de Werner Hofmann, agent assermenté de la Stasi (Maxime d’Aboville) ?
Ce nid d’espions sur Bernauer Straße s’articule comme une fuite en avant, où la bassesse et les trahisons inhérentes aux régimes totalitaires révèlent toute leur tragédie comique. La farce de la police politique est sans fin. Il faudrait retourner plusieurs fois au théâtre pour apprécier toutes les subtilités du texte, tous ces rhizomes qui font la cohérence de la pièce. Le rythme assurément est là, tonitruant, percutant, haletant ; l’esprit français, la vanne déconnante et persifleuse aussi ; et surtout, la fluidité. On oublie trop souvent la fluidité d’une pièce, son ruissellement qui happe et submerge le public, l’attache et l’évade, le sort de sa torpeur quotidienne.
La Stasi au rendez-vous
Cette fantasia chez les Ossis repose sur des comédiens affûtés, ils ont du souffle et du ressort. Patrick Haudecoeur est un Jean Carmet lunaire et pleurnichard, tendre et lâche, rêveur et éternel défaitiste face à une existence en cul-de-sac. Une vraie mascotte des tortionnaires. Maxime d’Aboville, Don Juan du réalisme socialiste, accumule bêtises et certitudes avec une force diabolique, quel régal de voir cet amoureux éconduit ! Toute la distribution assure le spectacle, Loïc Legendre à la voix sirupeuse et suspecte ou encore l’excellente Marie Lanchas en colonel de la Stasi mélomaniaque font des merveilles.
Et puis, il y a la reine Anne Charrier, elle ferait du bobsleigh que je la trouverais toujours aussi séduisante. Elle glisse sur la scène, en talons plats et trench voltigeur, telle une Audrey Hepburn boulevardière. Et quand elle feint l’émotion, son vibrato ferait tressaillir un commando de légionnaires. Elle a cette grâce suspendue qui éclate dans les rires et les interrogations. Le talent ne s’explique pas, il est injuste, par nature.
Espions contre l’ennui
Souvent la comédie à gros traits est laide, inesthétique dans ses décors et son traitement visuel. Elle compte seulement sur la blague grossière pour sauver les meubles. C’est une erreur que ne commettent pas Édouard Laug au décor, Juliette Chanaud aux costumes, Laurent Béal à la lumière et Michel Winogradoff à la musique. Avec l’usage parcimonieux de la vidéo, on voit le mur s’élever et la fronde intérieure se soulever. Dès les premières minutes, le public adhère à la beauté de ce projet original. Berlin Berlin est du théâtre populaire contrairement aux démocraties ou aux primaires du même nom. Un théâtre qui combat l’ennui intelligemment, qui n’instrumentalise pas pour la gloriole et qui emporte par son mouvement salvateur. La vie des autres est assurément plus drôle avec toute cette troupe.
INTERVIEW DE MAXIME D’ABOVILLE PAR LE MENSUEL : |