ALABAMA SONG

D’APRÈS GILLES LEROY

 

Palais des Congrès à Saint-Raphaël

Durée : 01H25

MISE EN SCÈNE : GUILLAUME BARBOT

D’après le roman Alabama Song, prix Goncourt 2007
Texte : Gilles Leroy
Adaptation & mise en scène : Guillaume Barbot
Avec : Lola Neymark, Pierre-Marie Braye-Weppe, Louis Caratini, Valentin Martel
Création musicale collective dirigée par Pierre-Marie Braye-Weppe
Batterie, guitare, jeu (Francis Scott) : Valentin Martel
Piano, trombone, jeu (l’aviateur et les prétendants) Louis Caratini
Collaboration à l’adaptation : Agathe Peyrard
Scénographie : Benjamin Lebreto, Lumières : Nicolas Faucheux
Son : Nicolas Barillot, Chorégraphe : Bastien Lefèvre
Costumes : Benjamin Moreau, Assistant : Stéphane Temkine
Administration : Catherine Bougerol
Diffusion : Label Saison, Presse : Nathalie Gasser

Lola Naymark – Zelda
Violon, guitare, jeu (psychiatre) Pierre-Marie Braye-Weppe
Piano, trombone, jeu (l’aviateur et les prétendants) Louis Caratini
Batterie, guitare, jeu (Francis Scott) Valentin Martel

Enfant terrible des années folles, « première garçonne américaine », artiste oubliée derrière la stature d’un mari écrivain devenu vedette, écrasée par une société patriarcale, internée pour schizophrénie… découvrez l’incroyable histoire de Zelda, épouse de Francis Scott Fitzgerald. Dans une scénographie vertigineuse, la musique jazz festive et haletante ne donne aucun répit à leur histoire d’amour qui passa par Saint-Raphaël en 1924 alors qu’ils écrivaient (au pluriel, tout à fait) Gatsby le magnifique.

Alabama Song, prix Goncourt 2007, peint avec une sensibilité rare le destin sulfureux de celle qui dut se battre pour conquérir liberté et reconnaissance. « Il en est qui se cachent pour voler, pour tuer, pour trahir, pour aimer, pour jouir. Moi, j’ai dû me cacher pour écrire. J’avais vingt ans à peine que déjà je tombai sous l’emprise – l’empire – d’un homme à peine plus vieux que moi qui voulut décider de ma vie et s’y prit très mal. »

 

ZELDA FITZGRALD (1900-1948) :

 

Zelda, la jeune fille du Sud, la fille de bonne famille, nait en 1900 à Montgomery en Alabama. Fille de l’austère juge Sayre, jeune fille délurée, rebelle, admirée et enviée, la tournoyante des bals de Montgomery scandalise la société bien pensante par ses flirts et ses provocations. En 1918, Zelda Sayre rencontre Scott Fitzgerald alors en garnison à Montgomery, jeune homme d’origine modeste en quête de gloire littéraire, épris de jeunes filles riches.

Après des fiançailles mouvementées, Zelda épousera Scott en 1920, quand il connaîtra le succès avec son premier roman L’envers du paradis. Gloire, argent, le jeune couple fait la une des journaux et ce sont les années folles, dont ils deviennent le couple mythique, années de plaisir, d’excès, de fêtes et d’alcool. Ils sont emblématiques de la génération perdue qui, au lendemain de la guerre de 14, fuit l’Amérique puritaine et la désillusion du rêve américain pour s’étourdir et échapper au réel dans les palaces et les fêtes déjantées de la Côte d’Azur. Zelda devient l’icône de la garçonne des années 20, éprise de liberté et d’indépendance. Scott et Zelda rêvent leur vie, se mettent en scène, se disputent l’intimité de leur couple comme matériau d’écriture, deviennent des personnages de romans sous la plume de Scott.

Quand intervient la fêlure ? Le couple se déchire, se distend, se jalouse. Car Zelda, à la recherche de sa propre identité artistique, veut « s’exprimer » par l’écriture, mais c’est là le domaine et le talent de Scott, par la danse à laquelle elle va s’adonner avec fureur, par la peinture aussi. Zelda se consume dans une quête pathétique.

Le destin de Zelda suit la trajectoire de l’époque. En 1929, le Krach de Wall Street fracasse l’insouciance des années 20. 1930 voit le premier internement de Zelda. Zelda l’incontrôlable ne maîtrise plus désormais son esprit. Diagnostiquée schizophrène, elle subit des traitements lourds, sombre puis refait surface, se bat avec lucidité, écrit en quelques mois, alors qu’elle est internée, son roman Accordez-moi cette valse, sombre à nouveau, jusqu’à cette nuit de 1948 où elle meurt brûlée vive dans l’incendie de l’hôpital psychiatrique d’Asheville.

 

GUILLAUME BARBOT :

 

Premier à donner la parole exclusivement à Zelda, « même si l’ombre de Francis Scott est toujours là », le romancier Gilles Leroy a reçu le Prix Goncourt en 2007 pour son Alabama Song. Un livre non-autobiographique qui traite de l’histoire passionnée et destructrice de Zelda Sayre et de son célèbre époux Francis Scott Fitzgerald, couple people mythique des années 20 américaines. « Figures intouchables » outre-Atlantique, Zelda et Francis Scott ont payé le prix cher de leurs vies dissolues. Une mort prématurée pour l’écrivain qui cannibalisait les intentions artistiques de sa femme, lui interdisant d’écrire, de danser, l’internant même en hôpital psychiatrique où elle finira brûlée vive…

Grand lecteur, « puisque toutes mes pièces sont tirées de textes contemporains non écrits pour le théâtre – romans, enquêtes journalistiques, nouvelles, etc. », Guillaume Barbot est tombé sur ce texte « par hasard, un bon hasard » qui coïncidait avec un « timing de vie ». Donner la parole aux femmes, un sujet on ne peut plus actuel. « Ce texte, c’était une évidence ».
Il avait tout ce qu’il fallait pour retenir l’attention du metteur en scène qui explore, depuis une quinzaine d’années et presque autant de spectacles, de nouveaux univers, à la frontière entre théâtre et musique, où la parole laisse place à la réflexion. Cette « rencontre » avec l’écrit de Gilles Leroy, « sa force politique, son humanité, sa musicalité, sa portée philosophique », est concomitante avec un autre roman, celui d’Ali Zamir, Anguille sous roche. « Deux portraits de femmes, deux textes très différents, mais finalement très complémentaires ». L’idée de les monter en parallèle a vite fait son chemin.

Finalement, des années 1920 aux années 2020, la place de la femme a-t-elle évolué ? Où en est le rapport créateur-créature ? Sur scène, Guillaume Barbot redonne sa place, centrale, à Zelda. Et montre que, finalement, le rapport hommes/femmes n’a pas beaucoup changé. Ce « clin d’œil » sur ces années 20 colle à l’actualité brûlante. La polémique qui entoure le dernier livre d’Emmanuel Carrère en témoigne.

Muse de son mari, Zelda s’est vite retrouvée enfermée dans sa vie de « femme de », empêchée d’exercer elle-même ses talents d’écrivaine, de peintre ou même de danseuse. Enfermée « dans des clichés ». « Zelda est une femme ; Zelda écrit ; Zelda danse ; Zelda boit ; Zelda baise ; Zelda hurle ; donc Zelda est folle… »

Gilles Leroy avait verbalisé tous ces moments de sa vie tumultueuse en lui donnant la parole, Guillaume Barbot les théâtralise en lui donnant corps.

Des hommes pour porter la parole d’une femme, « ça interroge aussi ! » Et pour que la mise en abyme soit complète, « pour la première fois, c’est ma femme Lola Naymark qui interprète Zelda ». Une collaboration inédite pour le couple, « il était important de voir ce que moi je voulais dire avec elle et elle, ce qu’elle allait apporter à la pièce. On souhaitait interroger ce rapport-là entre nous ».

Pour figurer l’omniprésence des hommes, le metteur en scène a choisi la musique, en live, haletante, du jazz. « Essentielle à tous mes spectacles, la musique endosse ici une vie propre, un rôle propre qui fait écho ou vient en contradiction au texte ». Trois musiciens sont donc installés sur le plateau disposé en arène, figurant d’abord une salle de bal puis l’asile psychiatrique. Sous la direction musicale du guitariste et violoniste Pierre-Marie Braye-Weppe, « protégé de Didier Lockwood », le pianiste et trompettiste Louis Caratini et le batteur Thibault Perriard interprètent tour à tour les hommes qui sont passés dans la vie de Zelda, de Francis Scott naturellement à son psychiatre en passant par son amant.

Quant à Gilles Leroy, il découvrira l’adaptation de ses mots et la mise en scène de son roman « à la fin du mois d’octobre, quand la pièce sera présentée au Théâtre de la Tempête à Paris ». En totale surprise. « Comme à tous les auteurs dont j’adapte les romans, je leur demande de signer un pacte de confiance. Gilles Leroy est venu au tout début des répétitions, pendant une pause déjeuner. On a beaucoup discuté, de son rapport à Zelda, de son enquête sur elle ». Mais depuis, plus rien. « Pendant les répétitions, on bouscule le texte, on cherche le bon rythme entre le roman et la pièce. Il arrive que la scénographie ou la musique prennent même le dessus temporairement sur le texte, le fragilisent, avant que celui-ci ne revienne au premier plan ». Alors, il vaut mieux pour l’auteur qu’il « découvre le plat final » sans passer par les préparatifs.

Alabama Song offre sous une forme de théâtre-concert extrêmement structurée et entraînante, une plongée dans la vie de Zelda Fitzgerald, de de son couple tumultueux avec Scott et surtout du musèlement de ses dons créateurs. Zelda a été une muse pour Scott, alors qu’elle avait tout pour qu’il soit (aussi) son Pygmalion.

Gilles Leroy a écrit une histoire romancée de Zelda, née en Alabama, fille d’un juge et la petite-fille d’un sénateur, qui lui a valu le prix Goncourt en 2007. Guillaume Barbot a adapté le roman sous une forme musicale réussie, réunissant autour de Lola Naymark trois musiciens talentueux qui savent aussi donner la réplique.

Lola Naymark captive d’emblée. On dit de certains artistes ou personnalités qu’elles sont solaires. La comédienne est, elle, lunaire. Le visage pale sous une douche de lumière, qui dès les premières secondes de la pièce respire la fragilité et l’émotivité, captive d’emblée. Elle joue le tourment et la folie admirablement. Là où elle est la moins convaincante, c’est dans les moments chorégraphiés, ce qui est malheureusement regrettable en raison non seulement de l’obsession de Zelda pour la danse et de la contextualisation de l’histoire, en pleines années folles. Mais cela a peu d’importance tant le reste de son jeu est convaincant, véritablement habitée (jusque dans les saluts durant lesquels son émotion très vive est encore palpable) par son rôle de femme à la fois libre et prisonnière, animée d’une énergie vitale et créatrice hors du commun, et censurée par son mari qu’elle admire mais qui ne supporte ni son talent, ni sa (relative) indépendance, même si les deux lui servent de matière littéraire. Car Scott Fitzgerald non seulement s’inspire de sa vie avec celle qu’il a rencontrée alors qu’elle avait 18 ans et épousée deux ans plus tard, que de ses propres écrits, qu’il va piller pour ne pas dire plagier, ne se contentant pas de l’aide inestimable de relecture et donc de perfectionnement qu’elle va lui prodiguer. Si Scott avait autant besoin de Zelda que Zelda avait besoin de Scott, leur relation déséquilibrée additionnée aux premiers succès littéraires et à l’argent aussi vite dépensé que gagné, les conduira dans une spirale d’alcoolisme et de violence pour lui et de schizophrénie pour elle, certainement largement alimentée par une carence affective et un déficit d’attention charnelle de son époux qui la conduira à aller la chercher dans les bras d’un ou plusieurs autres. Non content de la décourager sur le plan littéraire, qui l’obligera à se cacher pour écrire et à se réfugier aussi dans la peinture où elle fait moins concurrence, Scott la privera de ses droits sur leur unique fille et la fera interner dans des établissements psychiatriques divers, subissant des traitements qui l’ont autant détruite qu’apaisée.

Lola Naymark incarne cette folle aventure personnelle et intime, dans une scénographie et mise en scène absolument remarquables. Un chemin circulaire et surélevé de bois sombre, comme celui des montagnes russes la folie, qui est également le plancher forcément bancal de ses rendez-vous psychiatriques et le support de ses écrits tourmentés, où l’inversion des couleurs fait sens (écriture blanche sur « page » noire). Il sert également d’écrin aux musiciens qui n’accompagnent pas le spectacle mais le font, en resituant l’ambiance sonore des années folles, mais aussi en incarnant les crises du couple avec Thibault Perriard (Scott) jouant de la batterie comme avec sa vie, Louis Caratini enchaînant au piano des mélodies, pleines des promesses d’amour serein et épanoui d’un aviateur certes de passage, mais qui donnera à Zelda de l’amour physique une autre idée que celle qu’elle a expérimentée rarement mais violemment dans les bras de son époux. Il n’est pas étonnant d’apprendre que Pierre-Marie Braye-Weppe est un élève de Didier Lockwood tant il excelle au violon et complète idéalement le trio musical.

Alabama Song est le portrait d’une femme et d’une époque, mais qui en dépit de leur spécificité, pourrait parfaitement être celui d’autres femmes contemporaines, y compris au temps de #MeToo qui ne résout pas tout. Une héroïne tragique qui a péri de manière tragique, dans les flammes de sa cellule psychiatrique.

La noirceur apparente de l’argument ne doit pas décourager d’aller voir Alabama Song qui est à la fois un bel hommage à cette femme exceptionnelle et magnifique et un très beau moment de jazz.

 

 

LA CRITIQUE :

Article d’Emmanuelle Saulnier-Cassia

 

Alabama Song offre sous une forme de théâtre-concert extrêmement structurée et entraînante, une plongée dans la vie de Zelda Fitzgerald, de de son couple tumultueux avec Scott et surtout du musèlement de ses dons créateurs. Zelda a été une muse pour Scott, alors qu’elle avait tout pour qu’il soit (aussi) son Pygmalion.

Gilles Leroy a écrit une histoire romancée de Zelda, née en Alabama, fille d’un juge et la petite-fille d’un sénateur, qui lui a valu le prix Goncourt en 2007. Guillaume Barbot a adapté le roman sous une forme musicale réussie, réunissant autour de Lola Naymark trois musiciens talentueux qui savent aussi donner la réplique.

Lola Naymark captive d’emblée. On dit de certains artistes ou personnalités qu’elles sont solaires. La comédienne est, elle, lunaire. Le visage pale sous une douche de lumière, qui dès les premières secondes de la pièce respire la fragilité et l’émotivité, captive d’emblée. Elle joue le tourment et la folie admirablement. Là où elle est la moins convaincante, c’est dans les moments chorégraphiés, ce qui est malheureusement regrettable en raison non seulement de l’obsession de Zelda pour la danse et de la contextualisation de l’histoire, en pleines années folles. Mais cela a peu d’importance tant le reste de son jeu est convaincant, véritablement habitée (jusque dans les saluts durant lesquels son émotion très vive est encore palpable) par son rôle de femme à la fois libre et prisonnière, animée d’une énergie vitale et créatrice hors du commun, et censurée par son mari qu’elle admire mais qui ne supporte ni son talent, ni sa (relative) indépendance, même si les deux lui servent de matière littéraire. Car Scott Fitzgerald non seulement s’inspire de sa vie avec celle qu’il a rencontrée alors qu’elle avait 18 ans et épousée deux ans plus tard, que de ses propres écrits, qu’il va piller pour ne pas dire plagier, ne se contentant pas de l’aide inestimable de relecture et donc de perfectionnement qu’elle va lui prodiguer. Si Scott avait autant besoin de Zelda que Zelda avait besoin de Scott, leur relation déséquilibrée additionnée aux premiers succès littéraires et à l’argent aussi vite dépensé que gagné, les conduira dans une spirale d’alcoolisme et de violence pour lui et de schizophrénie pour elle, certainement largement alimentée par une carence affective et un déficit d’attention charnelle de son époux qui la conduira à aller la chercher dans les bras d’un ou plusieurs autres. Non content de la décourager sur le plan littéraire, qui l’obligera à se cacher pour écrire et à se réfugier aussi dans la peinture où elle fait moins concurrence, Scott la privera de ses droits sur leur unique fille et la fera interner dans des établissements psychiatriques divers, subissant des traitements qui l’ont autant détruite qu’apaisée.

Lola Naymark incarne cette folle aventure personnelle et intime, dans une scénographie et mise en scène absolument remarquables. Un chemin circulaire et surélevé de bois sombre, comme celui des montagnes russes la folie, qui est également le plancher forcément bancal de ses rendez-vous psychiatriques et le support de ses écrits tourmentés, où l’inversion des couleurs fait sens (écriture blanche sur « page » noire). Il sert également d’écrin aux musiciens qui n’accompagnent pas le spectacle mais le font, en resituant l’ambiance sonore des années folles, mais aussi en incarnant les crises du couple avec Thibault Perriard (Scott) jouant de la batterie comme avec sa vie, Louis Caratini enchaînant au piano des mélodies, pleines des promesses d’amour serein et épanoui d’un aviateur certes de passage, mais qui donnera à Zelda de l’amour physique une autre idée que celle qu’elle a expérimentée rarement mais violemment dans les bras de son époux. Il n’est pas étonnant d’apprendre que Pierre-Marie Braye-Weppe est un élève de Didier Lockwood tant il excelle au violon et complète idéalement le trio musical.

Alabama Song est le portrait d’une femme et d’une époque, mais qui en dépit de leur spécificité, pourrait parfaitement être celui d’autres femmes contemporaines, y compris au temps de #MeToo qui ne résout pas tout. Une héroïne tragique qui a péri de manière tragique, dans les flammes de sa cellule psychiatrique.

La noirceur apparente de l’argument ne doit pas décourager d’aller voir Alabama Song qui est à la fois un bel hommage à cette femme exceptionnelle et magnifique et un très beau moment de jazz.